Philippe Varin
Après 25 ans dans l’aluminium chez Pechiney, six ans dans l’acier comme CEO de Corus, six ans dans l’automobile chez PSA, six ans dans le nucléaire ensuite, puis président de France Industrie, Philippe Varin fut président de Suez de 2020 à 2022.
Il a été missionné par les ministères de la Transition Écologique et de l’Industrie afin de rédiger un rapport sur la sécurisation de l’approvisionnement de l’industrie française en matières premières minérales pour la transition énergétique. Remis en janvier 2022, ce rapport contient quatre recommandations.
Pour Géosciences, celui qui a l’avantage de connaître à la fois les métiers de l’extraction minière et de la transformation et les métiers de l’utilisation des métaux dans l’industrie, pose le contexte géopolitique de la transition énergétique.
Extrait de la tribune publiée dans la revue Géosciences n°26 : "Métaux critiques, concilier éthique et souveraineté ?"
Nous extrayons de notre planète 100 milliards de tonnes de matériaux chaque année, soit une moyenne de 13 tonnes par habitant. Pour un Européen, cela représente 20 tonnes par an, directement ou indirectement. Dans les 30 prochaines années, nous extrairons autant que depuis le début de l’humanité !
Nous nous dirigeons également vers un changement de décor géopolitique. Le triangle du pétrole et du gaz - Arabie Saoudite, Russie et États-Unis - gouverne le monde depuis quarante ans. Un monopole qui laissera peu à peu place à une bipolarisation du monde entre les États-Unis et la Chine, grands utilisateurs des métaux de la transition énergétique. D’où l’enjeu des mines australiennes. Mais pas uniquement. En Afrique et ailleurs, la Chine a pris 40% du contrôle des chaînes de valeur pour les métaux nécessaires à la fabrication de batteries. Ce changement de décor géopolitique est extrêmement important et sera générateur de tensions sur les métaux.
D’autant que la croissance de la consommation des métaux de la transition va devenir explosive : la demande en cuivre va doubler d’ici 2030, celle du nickel va tripler, quant au lithium, sa consommation sera quatre fois supérieure, à l’instar des terres rares. Une situation qui va nous exposer à des problèmes d’offre. C’est un enjeu majeur pour l’Europe, qui va devoir importer, à l’horizon 2030, entre 70 et 80% des métaux de la transition que sont le nickel, le cobalt, le lithium, les terres rares et d’autres moins critiques et moins nouveaux, tels que l’aluminium, le manganèse ou encore le cuivre.
Dans les 30 prochaines années, nous extrairons autant de matériaux que depuis le début de l'humanité !
C’est dans ce contexte que les ministres de la Transition écologique et de l’Industrie m’ont confié une mission, en septembre 2021 : remettre un rapport sur la sécurisation de l’approvisionnement de l’industrie en matière premières minérales pour la transition écologique. L’objectif était de pouvoir évaluer le niveau de sécurité des approvisionnements en métaux des industriels français, d’évaluer leurs besoins et de faire des propositions en matière d’organisation et de soutien de l’État, pour assurer une meilleure résilience des entreprises. Mon travail s’est porté, en priorité, sur les chaînes de valeur batteries et les chaînes de valeur aimants. J’ai ainsi fait quatre recommandations importantes.
D’abord, la sécurisation des approvisionnements en métaux. Une nouveauté pour les constructeurs automobiles qui vont devoir prendre des engagements sur 10 ans avec les opérateurs miniers pour l’approvisionnement des métaux. À charge ensuite pour les différents intervenants de la chaîne de valeur batteries d’investir dans le raffinage des métaux, la fabrication des précurseurs des cathodes et la fabrication des anodes. Une filière recyclage, qui doit être conçue dès l’origine, permettra de réinjecter les matières premières secondaires dans le circuit primaire de fabrication. Nous devons développer une véritable diplomatie des métaux. Sur ce sujet, la France est très bien placée, notamment en Afrique. Cette diplomatie s’inscrirait dans une optique de partenariat avec des pays riches en ressources, dans lesquels nous pouvons développer la mine responsable et nous démarquer à cet égard de certains autres intervenants dans ces mêmes pays.
La deuxième recommandation concerne la localisation en France des étapes précédemment évoquées. Pour les batteries, je propose qu’on utilise le potentiel du parc industriel de très grande qualité de Dunkerque. D’une part, pour la présence des trois gigafactories à proximité et, d’autre part, parce que la logistique de ce port est un point fort exceptionnel. Concernant les aimants, dans la mesure où on n’en produit pas en Europe ou très peu, il faut saisir l’opportunité de recycler ce que l’on a déjà. Le recyclage des produits manufacturés en fin de vie pourrait fournir 20% des besoins en Europe. À ces implantations s’ajoutera la R&D des acteurs de recherche amont (CEA, CNRS) et des acteurs aval, les responsables des gigafactories. À terme, nous devons pouvoir développer toutes les améliorations des technologies Lithium Ion et aussi potentiellement des technologies alternatives. En effet, de nombreuses recherches sont menées aujourd’hui sur des batteries qui n’utiliseraient pas des métaux critiques.
L’Union Européenne doit inclure dans sa taxonomie, et c’est ma troisième recommandation, les mines de métaux critiques. Mais pour être considérées comme technologies vertes par les investisseurs, les mines doivent être soumises à une réglementation qui comprend le recours à une électricité décarbonée et la garantie que les produits proviennent d’une mine responsable. L’Europe doit définir très précisément, par un label certifiable, ce qu’est une mine responsable en matière d’environnement ou d’éthique. Un argument incontournable également pour développer ces nouveaux partenariats avec les pays riches en ressources.
Enfin, la gouvernance en France de ces projets doit être renforcée : d’abord en nommant un délégué interministériel pour coordonner l’action de l’État. Ensuite, et c’est extrêmement important, en confiant au BRGM, en liaison étroite avec le comité stratégique de la filière Mines et Métaux, la tâche de constituer un véritable observatoire des métaux critiques. Il sera la vigie sur les évolutions de la criticité des matériaux pour l’État et les industriels.
Le gouvernement soutient ces recommandations et se donne les moyens de les mettre en place. Un milliard d’euros est ainsi débloqué, dont 500 millions pour un appel à projets aux entreprises et aussi 500 millions en fonds propres. La remise du rapport et de ses conclusions s’est effectuée avant la crise en Ukraine. Une crise qui interroge notre gouvernance et notre souveraineté dans le domaine des métaux. La consommation frugale des ressources, qui était le thème originel, a vu son acuité renforcée avec les besoins massifs d’infrastructure nécessaires à la transition énergétique, et maintenant avec l’impératif d’autonomie pour faire face aux tensions géopolitiques.