La forte croissance de la demande mondiale en électricité requiert de nouvelles capacités de production. Si les techniques de production d’électricité bas-carbone émettent moins d’émissions de gaz à effet de serre que les centrales à combustibles fossiles, elles mobilisent en revanche davantage de métaux non ferreux dans leur cycle de vie. La transition vers un monde bas-carbone est alors susceptible d’accroître drastiquement l’empreinte-métal de la production et des usages de l’électricité.
21 décembre 2018

Paysage énergétique mondial

La production d’énergie primaire bousculée

Le développement économique à l'échelle mondiale s’accompagne d’une production d'énergie primaire1 croissante. Depuis les années 2000, cette croissance a lieu quasi exclusivement dans les pays hors de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), qui exportent une grande partie de leur production vers la zone OCDE. L’année 2016 a été remarquable puisqu’elle a enregistré les plus fortes baisses de la production d’énergie jamais observées à la fois aux Etats-Unis (-5,3%) et en Chine (-6,1%), selon les statistiques de l’Agence Internationale de l’Energie (AIE) [1]. Cette baisse a concerné principalement la production de matières premières fossiles (charbon et pétrole). La forte hausse de la production de pétrole au Moyen-Orient (+8,4%), observée sur la même période, a cependant permis de limiter la baisse globale de la production énergétique, qui s’est établie à 13 764 Mtep (mégatonnes équivalent-pétrole2). En 2016, plus de 80% de la production d’énergie primaire s'est composée de matières premières fossiles, 15% d’énergies et de matières renouvelables, et 5% de combustible nucléaire. La production d’énergie (fossile) est repartie en forte hausse en 2017, selon les premières estimations de l’AIE.

Une production d’électricité en forte croissance

La production mondiale d'électricité a atteint 25 679 TWh (térawattheure) en 2017, avec une croissance de 3% par rapport à 2016. La Chine, à 50% responsable de cette hausse, a augmenté ses capacités mondiales de 127 GW (soit l’équivalent de l’ensemble du parc électrique français en 1 an) pour atteindre un total de 1 755 GW installés. En première cause de cette évolution on trouve le fort développement économique de ce pays, qui se traduit notamment par l’électrification et la numérisation des usages. Cette évolution s’explique ensuite par un potentiel important de production d’électricité à partir de ressources énergétiques variées (renouvelables ou non). Enfin, la Chine se caractérise par un pouvoir centralisé et une contestation sociale relativement faible, avec une volonté politique d’exploiter les sources d’énergie bas-carbone. Pour preuve, la Chine a augmenté sa puissance photovoltaïque de 53 GW en 2017, pour atteindre une puissance installée de 130 GW, loin devant les Etats-Unis, deuxième puissance photovoltaïque avec 51 GW installés.

Une électricité encore très carbonée

Le secteur de la production d’électricité est le plus grand transformateur d’énergie primaire. En 2016, près de 38% (5 263 Mtep) de la production d’énergie primaire ont été transformés dans les centrales de production d’électricité et de chaleur, le reste étant alloué au transport (20%), à l'industrie (14%), au résidentiel (11%), aux activités de transformation des carburants (8%), aux usages non énergétiques3 (6%) et aux commerces et aux services publics (3%).

En dépit des engagements de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) des pays signataires du protocole de Kyoto en 1997 puis de l’accord de Paris en 2015, la production d'électricité provient encore largement de la combustion de matières fossiles. La part de l’électricité mondiale produite à partir de combustibles fossiles se situe autour de 71% (60% pour les pays de l'OCDE, 80% hors OCDE) et n'a que peu évolué—sinon à la hausse—depuis la fin des années 80. Une tendance baissière est toutefois observée depuis 2012.

La production d'électricité est responsable de près de 41% des émissions totales de GES dues aux combustibles fossiles[2]. Le remplacement des moyens de production d’électricité à combustibles fossiles par des installations bas-carbone constituerait donc un levier majeur pour limiter le réchauffement climatique. Celles-ci exploitent actuellement deux types de sources d’énergie : les sources d’énergie renouvelables (soleil, géothermie, matières recyclables, et gravité) et leurs dérivés (énergies éolienne, hydraulique, marine, biomasse, etc.), et les sources d’énergie non renouvelables comme l’uranium (nucléaire). Afin de satisfaire une demande croissante en électricité, notamment dans les pays émergents, le nombre d’installations bas-carbone devrait rapidement s’accroître.

L’empreinte-matière de la production d’électricité

Des chaînes de valeur complexes

Le principal atout des centrales bas-carbone est qu'elles produisent peu d'émissions de GES en opération, lorsqu'on les compare aux centrales à combustibles fossiles. En revanche, la majorité des impacts environnementaux des centrales bas-carbone ont lieu avant leur mise en opération [3]. En fonction des métaux et minéraux utilisés, l'installation d'une centrale électrique suit des chaînes d'approvisionnement et de traitement plus ou moins longues et variées, souvent elles-mêmes coûteuses en énergie et en matières premières. Il est alors intéressant de connaître les besoins en matières premières et les émissions de GES des techniques de production d'électricité, non seulement pendant leur fonctionnement, mais aussi dans les chaînes de valeur qui interviennent dans leur cycle de vie complet. Cela permet également de mieux évaluer leurs impacts environnementaux. Pour cela, on peut calculer leur empreinte-matière et leur empreinte-carbone par une méthode reconnue : l'analyse de cycle de vie.

L’empreinte-matière

L’analyse de cycle de vie consiste en la réalisation d’un inventaire des quantités ou grandeurs irréversiblement transformées lors du cycle de vie d’une activité. Cette approche vise à élargir le périmètre de responsabilité d’une activité, afin d’inclure les impacts indirects qui lui sont imputables. Pour calculer l’empreinte-carbone d’une activité, on fait la somme de toutes les émissions de GES causées directement ou indirectement par cette activité (on peut inclure, par exemple, une partie des émissions de CO2 générées lors de la fabrication du train qui transporte les matériaux destinés à l’activité en question). De manière analogue, l’empreinte-matière est obtenue en faisant la somme de toutes les matières mobilisées (c’est-à-dire qu'il a fallu extraire de l’environnement) au cours du cycle de vie de l’activité.

Une grandeur comparative

Il est à noter que l'empreinte-matière est une grandeur comparative, dépendante des hypothèses faites sur les frontières des systèmes techniques analysés4, et du degré de précision recherché. Pour l’analyse du cycle de vie des installations de production d’électricité, on considère l’ensemble des dépenses matérielles et énergétiques nécessaires à leur construction, leur opération et leur fin de vie. Chaque matière utilisée dans une phase donnée du cycle de vie a également un cycle de vie propre dont les activités qui sont jugées significatives dans le bilan total doivent être prises en compte. L’analyse de cycle de vie est donc une méthode itérative qui demande beaucoup de données et de calculs. Afin d’harmoniser les analyses, des bases de données contenant des activités prédéfinies peuvent être utilisées. La base d’inventaires de cycle de vie ecoinvent[4] offre un cadre intéressant pour comparer les empreintes-matière de milliers de produits et procédés. En effet, elle utilise le même jeu d’activités et de produits élémentaires pour construire l’ensemble des inventaires qu’elle contient. Elle est à ce jour la base d'inventaires de cycle de vie la plus complète, et a été utilisée récemment par la Commission Européenne pour estimer les flux de matière en « équivalent matières premières »[5]. Elle est par ailleurs régulièrement mise à jour afin d’intégrer de nouveaux jeux de données.

Les inventaires de cycle de vie de plusieurs techniques de production d’électricité inclus dans ecoinvent nous permettent de comparer leurs empreintes-carbone et leurs empreintes-matière. Les matières en question peuvent être transformées directement pour le fonctionnement de la centrale (combustibles, matériaux de maintenance), ou indirectement dans les chaînes de production attribuées au cycle de vie de la centrale. Pour cette analyse, on se base sur la production électrique totale de chaque centrale au cours de sa vie, pour laquelle on estime une masse de matières extraites. On obtient une grandeur exprimée en kg/kWh. Cette grandeur permet de comparer sur un pied d’égalité des installations de durées de vie éventuellement différentes.

Transition énergétique : des combustibles fossiles vers les métaux

Les énergies renouvelables : une empreinte-matière plus faible

Le calcul de l’empreinte-matière des techniques de production d’électricité fait apparaître différents types de matières. Nous représentons sur la figure ci-dessous les quantités de métaux, matières non métalliques5, et matières fossiles, extraites dans le cycle de vie de chaque type de centrale. On reporte également l’empreinte-carbone associée. Les valeurs obtenues correspondent à des moyennes par type de centrale6 à partir des inventaires extraits de la dernière version de la base ecoinvent (3.5).

Les techniques à énergie renouvelable révèlent une empreinte-matière nettement plus faible que les centrales à combustibles fossiles pour la production d’un kilowattheure d’électricité. Ce constat tient compte des matières premières issues de la croûte terrestre. En effet, les quantités de combustibles fossiles transformées dans les centrales à charbon, à pétrole, et à gaz, surpassent largement les quantités des autres ressources mobilisées pour la production d’un kilowattheure hydroélectrique, éolien, ou photovoltaïque. La forte empreinte-matière du charbon s’explique également par la prise en compte des déchets miniers liés à l’extraction du charbon7. L’empreinte-carbone des moyens de production renouvelables est elle aussi bien inférieure à celles des centrales à fossiles (pour une même quantité d’électricité produite). Ce résultat confirme, pour ces techniques, le bien-fondé de l’appellation « bas-carbone »[6].

Cependant, une certaine quantité de combustibles fossiles est toujours consommée lors de l’extraction, de la fabrication, et du transport des matériaux nécessaires à la construction des centrales, quel que soit leur type. Le photovoltaïque, par exemple, est la technique renouvelable qui demande la plus grande quantité de matières fossiles (0,040 kg/kWh), principalement pour la fabrication de wafers de silicium. Le photovoltaïque a donc une empreinte-carbone significative (0,078 kg eq CO2/kWh). Elle reste cependant bien plus faible que celles des centrales à charbon (1,155 kg eq CO2/kWh), à pétrole (1,102 kg eq CO2/kWh), ou à gaz (0,645 kg eq CO2/kWh). L’hydraulique est le secteur qui a l’empreinte-matière et l’empreinte-carbone les plus faibles : 0,036 kg/kWh et 0,005 kg eq CO2/kWh, respectivement. De grandes quantités de matières sont transformées lors de la construction d’un barrage hydroélectrique. Cependant, une telle installation peut fonctionner plus de 100 ans ce qui réduit son empreinte par kilowattheure. La phase de fin de vie du barrage ou du réservoir (conservation ou démolition) peut également faire varier son empreinte-matière. La centrale géothermique est celle qui demande le plus de métaux (0,006 kg/kWh), principalement à cause de l’acier nécessaire aux infrastructures souterraines. L’éolien, le nucléaire, et le pétrole transforment le plus de matières non métalliques (0,041 kg/kWh) après les centrales à charbon (1.837 kg/kWh). Les centrales à biomasse nécessitent peu de matières premières issues du sous-sol (0,036 kg/kWh). En revanche, elles consomment de la matière organique, qui n’est pas considérée dans le cadre de cette analyse.

Les énergies renouvelables : plus gourmandes en métaux

En sélectionnant uniquement les métaux qui figurent dans les inventaires de cycle de vie ecoinvent, on peut représenter la contribution de chaque technologie à l'empreinte-métal des techniques de production d'électricité. Ceci permet d’identifier les techniques qui demandent le plus d’un métal donné dans leur cycle de vie. Il faut néanmoins garder à l’esprit que nous considérons ici des techniques de composition « moyenne », c’est-à-dire correspondant à un mix de plusieurs techniques par filière (ex : moyenne sur éoliennes terrestres et marines de différentes puissances). En réalité, les inventaires de cycle de vie varient en fonction des caractéristiques de chaque unité de production et du lieu d’installation.

En moyenne, donc, le solaire photovoltaïque demande une plus grande extraction d’aluminium, de cuivre, de zinc, de plomb, de zircone, de cadmium, d’étain, d’argent, de tantale, de gallium, de strontium, d’indium, de terres rares, d’or, de palladium, et de tellure par rapport aux autres centrales. Ces éléments sont utilisés dans les activités liées soit à la fabrication des cellules (ex : couches minces à CdTe), soit à la mise en place des panneaux (structures en aluminium), soit encore au raccordement électrique des panneaux (cuivre). En revanche, lorsqu’on fait la somme de tous les métaux, on remarque que la production d’électricité photovoltaïque a une empreinte-métal moindre que celles du pétrole, de l’éolien, de la géothermie et du solaire à concentration, qui sont dominées par leurs besoins en fer.

Certaines centrales électriques consomment principalement des combustibles fossiles lors de leur fonctionnement, d’autres consomment davantage de métaux et minéraux lors de leur fabrication, d’autres encore peuvent nécessiter des matières premières après leur fin de vie, à l’image du nucléaire, dont les frontières du système et l’horizon d’analyse de cycle de vie font souvent l’objet de débats. Nous voyons donc que les centrales électriques n’ont pas les mêmes besoins en matières premières, tant dans le type de matière que dans la dynamique d’approvisionnement au cours de leurs cycles de vie. Il est notable que plusieurs métaux que l’on pourrait trouver dans les composants des centrales comme le tungstène (turbines), le niobium (aciers), l’hafnium (nucléaire), le vanadium (aciers), le silicium (photovoltaïque), et d’autres, ne figurent pas explicitement dans les inventaires de cycle de vie de la base ecoinvent. Plusieurs raisons peuvent l’expliquer : soit les quantités en jeu sont jugées négligeables dans les inventaires de cycle de vie, soit les techniques analysées ne contiennent pas ces éléments, ou soit les éléments sont indirectement considérés via leurs minerais hôtes (ex : le silicium contenu dans le sable). Les éléments utilisés en faibles quantités (ex : terres rares) sont souvent ceux sur lesquels les incertitudes quant à leur consommation sont les plus élevées. Il convient donc de garder un regard critique lors de l’utilisation d’inventaires de cycle de vie, y compris lorsque ceux-ci proviennent de bases de données « harmonisées ». Les mises à jour périodiques d’ecoinvent et l’ajout de nouveaux jeux de données sont susceptibles de préciser ou de modifier les résultats obtenus.

Extraction de matière pour un mix électrique décarboné à l’horizon 2040

En multipliant les empreintes-matière par kilowattheure de chacune des technologies par la quantité totale d’électricité produite en une année, il est possible d’estimer les quantités de matières annuelles qu’il faut extraire pour la production globale d’électricité [7]. Pour l’année 2016, on obtient ainsi une extraction globale de 46 Mt de métaux dont 42 Mt de fer, 18 007 Mt de substances non métalliques dont 17 066 Mt de schistes sédimentaires liés à l’extraction du charbon7, 10 040 Mt de combustibles fossiles dont 8 375 Mt de charbon, et 15 975 Mt eq CO2 d’émissions de GES. Ces ordres de grandeur peuvent être comparés aux statistiques de l’AIE qui évalue, pour 2016, la quantité de combustibles fossiles consommée dans la production d’électricité 2016 à 3 804 Mtep[2], soit environ 5 437 Mt de combustibles fossiles (dont 4 041 Mt de charbon8). Les émissions directes associées sont quant à elles estimées par l’AIE à 13 247 Mt de CO2, soit environ 14 572 Mt eq CO2 en tenant compte de 10% de GES non CO2[8]. Hormis les quantités de charbon qui apparaissent largement surestimées par la prise en compte de centrales à lignite peu efficientes, nos estimations plus importantes sont cohérentes avec le fait que les statistiques de l’AIE sont agrégées en secteurs (électricité, transport, industrie, etc.) et non pas en chaînes de production.

Selon le scénario « Sustainable Development Scenario » envisagé dans le rapport World Energy Outlook 2018[2], l'électrification et la décarbonation accélérée des régions du monde à l’horizon 2040 conduiraient à un développement important des techniques bas-carbone, notamment solaires et éoliennes. Si on remplaçait instantanément le mix électrique 2016 par le mix bas-carbone obtenu en 2040, en gardant la même production électrique, on obtiendrait une empreinte-carbone et une empreinte-matière 3,1 fois et 4,4 fois plus faibles, respectivement. Ces réductions seraient principalement dues à l’abandon du charbon. En revanche, si l’on considère uniquement les métaux, leur demande globale pour la production électrique serait multipliée par 2,0. Pour les métaux non ferreux, elle serait multipliée par 3,7. Les besoins spécifiques en chaque métal peuvent être analysés ; ils sont cependant difficiles à appréhender car ils dépendent fortement des techniques adoptées au sein d’une même filière. Les marchés des ressources, les compétitions inter-filières, les réglementations environnementales, et les taxes commerciales sont autant de paramètres qui peuvent favoriser l’adoption d’un type de centrale par rapport à un autre dans le futur. En reprenant la moyenne des différents types de centrales figurant dans la base de données ecoinvent, des éléments comme le tellure, qui est utilisé pour les cellules photovoltaïques de type couches minces à CdTe, ou le tantale, que l’on trouve dans les condensateurs des onduleurs des installations photovoltaïques, verraient leur demande multipliée par plus de 10. Il faut cependant noter que ces deux éléments sont, à ce jour, de petits marchés (quelques centaines de tonnes). Les variations importantes de la demande sont donc à relativiser. La demande d’or, d’étain, et d’argent serait plus de 7 fois supérieure à celle du mix électrique 2016 réel, en raison du nombre d’onduleurs supplémentaires à installer. Du côté des substances non métalliques, le sable (silicium, béton), le graphite (électrodes), les borates (agents chimiques), et le soufre (acide sulfurique) parmi d’autres seraient utilisés de 4 à 10 fois plus. Sur la période 2016-2040, l’augmentation de la production électrique de 49% envisagée par l’AIE renforcerait d’autant les besoins en matières premières et les émissions de GES. Toutefois, il est important de mentionner que l’on considère des inventaires inchangés sur la période 2016-2040, et que les besoins en métaux sont répartis sur la durée de vie des centrales. En tenant compte de la temporalité des besoins[9] et d’une empreinte-métal grandissante pour chaque centrale suite à la décarbonation du système énergétique, les besoins en métaux pourraient être décuplés. Ce champ de recherche reste cependant à explorer.

Répercussions dans tous les usages électriques

Une augmentation des besoins en métaux dans le domaine de l’électricité n’est pas nécessairement source d’inquiétude car la production d’électricité est en général un faible pourcentage des usages directs de métaux. En revanche, l’évolution de l’empreinte-matière de la production d’électricité est déterminante pour l’empreinte-matière de tous les produits et activités utilisant de l’électricité dans leur cycle de vie9. Déjà amenés à consommer davantage de métaux, les usages électriques (téléviseurs, smartphones, ordinateurs, serveurs, voitures, etc.) alimentés par une électricité décarbonée risquent de voir leur empreinte-métal augmenter, modifiant ainsi les impacts environnementaux qui leurs sont attribués. Il convient donc de suivre l’empreinte-métal des usages électriques et d’accompagner l’électrification par des procédés bas-carbone moins intenses en ressources. Une réduction de l’empreinte-métal peut être faite en exploitant les possibilités de recyclage à chaque étape de transformation. Attention cependant : si le recyclage est applicable aux produits en fin de vie, il ne peut en réalité satisfaire qu’une partie des besoins dans un contexte d’augmentation du nombre de produits [11]. Une production primaire de métal est alors nécessaire, à condition que celle-ci intègre des techniques bas-carbone, de l’extraction au métal fini.

Plus d’extraction, moins d’émissions ?

L’abondance des sources d’énergie renouvelables dans la plupart des régions du globe permet un développement rapide et d’envergure des centrales électriques bas-carbone. Cependant, ces techniques requièrent également un lourd investissement financier, résultant de chaînes de transformation plus ou moins gourmandes en matières premières et en énergie. Dans le cadre de l’Accord de Paris visant à limiter le réchauffement climatique à 2°C, la décarbonation urgente annoncée requiert un développement sans précédent des moyens de production d’électricité bas-carbone, ainsi que des moyens de transport et de stockage de l’électricité. Si l’empreinte-carbone des usages électriques est amenée à décroître, les besoins en métaux, eux, sont amenés à se renforcer pour la production comme pour les usages de l’électricité. En plus de poser de nouvelles questions économiques, socio-environnementales, et géopolitiques liées aux approvisionnements de matière, un monde dont les besoins en métaux augmentent pose également une question énergétique. Alors que l’industrie minière et métallurgique représente environ 7-8% de la production d’énergie primaire mondiale [12] (soit environ 950-1100 Mtep), quelles seront les sources d’énergie pour produire ces métaux, et quelles quantités de métaux serviront à produire et acheminer cette énergie ? Un enjeu majeur de la transition énergétique est alors de mieux comprendre le rôle fonctionnel des ressources minérales, et de les allouer le plus efficacement possible à l’atteinte des objectifs politiques jugés prioritaires.

Notes

1 La production d’énergie primaire désigne l’ensemble des ressources énergétiques prélevées par l’Homme de son environnement, et destinées à être transformées dans un procédé de conversion énergétique.

2 La tonne équivalent pétrole (Tep) est une unité d’énergie représentant la quantité de chaleur qu’il est possible d’extraire (ou pouvoir calorifique) de la combustion dans l’air d’une tonne de pétrole de composition chimique moyenne.

3 Selon l’AIE, le secteur non énergétique regroupe les activités de transformation des ressources énergétiques qui ne sont pas utilisées en tant que carburants mais comme matières premières. Exemples : fabrications de lubrifiants, d’asphalte, de produits d’entretien, etc.

4 La présence de matières réutilisables ou recyclables dans les chaînes de valeur peut être considérée différemment selon la méthode d’attribution utilisée. Par exemple, il est possible de considérer que la production de matières recyclables allège la consommation de matières primaires par substitution.

5 Il n’existe pas de classification universelle des substances métalliques et non métalliques. Nous utilisons par défaut la nomenclature ecoinvent. Celle-ci reporte soit la masse du contenu en métal d’un minerai, soit la masse du minerai lui-même (matière supposée non métallique).

6 Les centrales considérées sont celles disponibles dans ecoinvent. Elles ne sont pas nécessairement représentatives de la distribution technologique mondiale.

7 La forte empreinte-matière de certaines centrales à charbon dans la base de données ecoinvent ne s'explique pas uniquement par leur grande consommation de charbon mais également par la prise en compte des stériles miniers (schistes sédimentaires) lors de l’extraction du charbon. En terrils, ils peuvent faire l’objet d'une combustion spontanée due à la décomposition exothermique de la pyrite. D’autres techniques ne bénéficient pas d'une couverture aussi exhaustive des procédés de transformation de la matière dans ecoinvent, ce qui peut générer une sous-estimation de leur empreinte-matière.

8 Masse de combustibles fossiles calculée avec les pouvoirs calorifiques suivants : 24 MJ/kg pour le charbon, 43 MJ/kg pour le pétrole, et 45 MJ/kg pour le gaz.

9 Il a par exemple été montré que le mix électrique était le principal déterminant de l’empreinte-carbone d’un véhicule électrique [10]

Antoine Boubault, BRGM

Références

[1] « Key World Energy Statistics 2018 », Agence Internationale de l’Energie/OCDE, 2018.

[2] « World Energy Outlook 2018 », Agence Internationale de l’Energie/OCDE, 2018.

[3] E. Hertwich et al., « Green Energy Choices: The benefits, risks, and trade-offs of low-carbon technologies for electricity production », United Nations Environment Programme, 2016.

[4] G. Wernet, C. Bauer, B. Steubing, J. Reinhard, E. Moreno-Ruiz, et B. Weidema, « The ecoinvent database version 3 (part I): overview and methodology », Int. J. Life Cycle Assess., vol. 21, no 9, p. 1218‑1230, sept. 2016.

[5] « Documentation-EU-RME-model.pdf », Commission Européenne, 2016.

[6] E. G. Hertwich et al., « Integrated life-cycle assessment of electricity-supply scenarios confirms global environmental benefit of low-carbon technologies », Proc. Natl. Acad. Sci., vol. 112, no 20, p. 6277–6282, 2015.

[7] R. Kleijn, E. van der Voet, G. J. Kramer, L. van Oers, et C. van der Giesen, « Metal requirements of low-carbon power generation », Energy, vol. 36, no 9, p. 5640‑5648, sept. 2011.

[8] « CO2 Emissions From Fuel Combustion Highlights 2016 », Agence Internationale de l’Energie/OCDE, 2018.

[9] A. Boubault, S. Kang, et N. Maïzi, « Closing the TIMES Integrated Assessment Model (TIAM-FR) Raw Materials Gap with Life Cycle Inventories: Integrated Assessment Using Life Cycle Inventories », J. Ind. Ecol., vol. in press, août 2018.

[10] A. Nordelöf, M. Messagie, A.-M. Tillman, M. Ljunggren Söderman, et J. Van Mierlo, « Environmental impacts of hybrid, plug-in hybrid, and battery electric vehicles—what can we learn from life cycle assessment? », Int. J. Life Cycle Assess., vol. 19, no 11, p. 1866‑1890, nov. 2014.

[11] J.-F. Labbé, « Les limites physiques de la contribution du recyclage à l’approvisionnement en métaux », Ann. Mines - Responsab. Environ., vol. 82, no 2, p. 45‑56, 2016.

[12] E. Van der Voet et al., Environmental risks and challenges of anthropogenic metals flows and cycles. Report 3, United Nations Environment Programme. 2013.